Grande Région : La silver économie, véritable enjeu démographique en Limousin


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Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 24/02/2015 PAR Romain Béteille

Selon des données d’Eurostat, la chute à domicile représente 85% des accidents des plus de 65 ans, entraînant la dépendance. Elle est à l’origine d’environ 10 000 décès par an. A Limoges, Legrand, spécialiste des systèmes d’installation électrique, est l’un des plus gros acteurs économiques implantés dans la région Limousin. En 2013, la firme en rouge et noir a fait partie des principaux signataires du fameux « contrat de filière » signé et initié par Michèle Delaunay, alors Ministre déléguée aux personnes âgées et à l’autonomie. L’enjeu était de taille pour la région, qui compte dans ses rangs les départements de la Creuse et de la Corrèze, parmi les plus âgés de France (les plus de 60 ans y dépassaient déjà les 30% au début des années 2000, et le phénomène a tendance à augmenter en raison d’un solde naturel très négatif). 

Olivier Vallée, responsable du marché résidentiel chez Legrand, affirme que « l’entreprise a démarré ses premiers travaux de mise en place des technologies en 2005. Tout est parti de la volonté des élus creusois, qui voulaient tester des technologies nouvelles adaptées aux changements de la société et que l’on pourrait produire à grande échelle. L’initiative s’est étendue ensuite dans d’autres départements de la région. On sait que la demande est potentiellement forte, les seniors représentant plus de 50% de la consommation globale en 2015 en France ». Legrand est ainsi l’un des tous premiers partenaires d’Autonom’lab, sorte de mini-comité de filière régional. Tous ces acteurs initient des projets collaboratifs, reçoivent des délégations d’autre régions (dont l’Aquitaine) pour échanger leurs expériences. Le Limousin tente de maintenir son avance dans le pôle médico-social. 

Des obstacles importantsMais, selon le porte parole de Legrand, la silver économie limousine est face à des obstacles de taille. D’abord, ce fameux contrat de filière signé en 2013, n’a pas vraiment été suivi d’un démarrage économique concret. « Depuis cette signature, il ne s’est pas passé grand-chose. On était tous intéressés, mais on avait avant tout un rôle opérationnel », confie Olivier Vallée. « On a perdu ce dynamisme collectif, mais le comité ne demande qu’à être réveillé. Ce qu’il nous faut, c’est un projet de loi, des textes de financement, en gros un nouvel engagement politique clair, qui puisse donner l’impulsion pour financer de nouveaux services. Suite au départ de Michèle Delaunay, la filière n’a pas vraiment pris le temps de se former. On dépense aujourd’hui beaucoup d’argent dans la prévention des accidents de la route qui représentent 3400 décès par an, quand 10 000 seniors décèdent à leur domicile à la suite d’une mauvaise chute, soit trois fois plus. Il n’y a pas, voire peu, de sensibilisation à ce phénomène, pas de prévention. Cette prise de conscience, pour l’instant, personne ne l’a ». 

Deuxième problème : la majorité des entreprises du secteur sont des PME. « On est un peu les seuls, avec Orange, à être des grosses entreprises. Les PME sont plus réactives, elles sont capables de sortir une innovation plus vite mais elles prennent aussi plus de risques. Leur problème, c’est qu’elles sont souvent incapables de trouver un marché, elles restent isolées sur leur secteur géographique. » Le financement est aussi l’une des questions majeures avancées par le porte parole : « Il faut créer des juristes, une structuration, et tout ça, ça demande de l’argent. On ne peut pas décemment demander aux acteurs économiques d’être en ordre de marche, et aux entreprises d’aller plus vite que les élus. La plupart des offres qu’on propose aujourd’hui ne sont pas spécifiques, nous n’avons que peu de produits vraiment ciblés. Concernant le maintien à domicile, la plupart de nos produits sont déjà dans le catalogue depuis 10 ans. Il y a 32 millions de logements en France, on ne va pas en détruire 10 millions pour en reconstruire 10 autres millions « adaptés ». Quand on sait que 64% de la silver économie en France est consacrée au domaine de la santé, on voit qu’il y a un fort enjeu d’adaptation de l’offre. Pas sûr que toutes les entreprises en soient conscientes ». 

Guéret, un pôle domotique ambitieuxLa domotique en Limousin, ça fait pourtant longtemps qu’on en parle. Déjà, en 1992, la création d’un BTS « domotique » au lycée Jean Favart, à Guéret, formait les étudiants à l’aide au « maintien à domicile des personnes dépendantes ». La Creuse, territoire le plus vieux d’Europe, avait surtout un enjeu financier dans le traitement de ce problème : quand un « senior » coûte 65 euros par jour en établissement, il n’en coûte que 3 s’il continue à habiter chez lui. Encore faut-il qu’il puisse y rester. C’est là qu’intervient l’initiative du Conseil général de la Creuse de proposer un « pack domotique ». Proposé au tarif de 38 euros par mois, il comprend notamment un service de téléassistance, un parcours lumineux avec éclairages automatisés et détecteurs de mouvements, de fumée, de gaz et de température. Depuis sa création, environ 1 000 personnes âgées en ont été bénéficiaires, et elles auraient gagné 2,5 ans d’espérance de vie à domicile avec l’installation de ces outils de base. Plus que ces chiffre, ce fameux « pack standard » a généré des vocations : une quarantaine d’électriciens ont été formés à son installation, pour correspondre à une demande très spécifique. 

L’un des représentants les plus emblématiques de cette innovation se trouve à Guéret, c’est le « Pôle Domotique Odyssée 2023 ». Comme l’explique Stéphane Saint-Amand,directeur du Centre de ressource domotique et santé de Guéret, l’idée de ce centre de ressources est née par une volonté de rassemblement. « On voulait créer un pôle d’excellence rural en matière de domotique, avec un lieu ressource. Odyssée a donc vu le jour en 2010, et avec lui une formation universitaire importante, avec notamment la création d’une licence professionnelle. Le centre est donc aussi un accueil de formations, qui délivre des diplômes universitaires, et un véritable vivier de projets et de nouveaux talents. Le 19 février dernier, les étudiants de la Licence professionnelle « Domotique et économie des personnes » de l’Université de Limoges ont présenté, en présence d’acteurs du secteur, leurs projets tuteurés. Parmi eux, des idées originales comme des « usages de robots humanoïdes pour l’accompagnement des personnes » ou encore des « ampoules connectées pour l’assistance des personnes en perte d’autonomie ». Malgré les apparences, la domotique n’a pas uniquement vocation à créer de l’innovation et de la technologie qui fait bien souvent figure de gadget pour les seniors : le pôle de Guéret s’attache aussi à développer l’aspect relationnel. « On essaye de respecter les 3 règles fondamentales : il ne faut pas que la domotique soit intrusive, qu’elle soit facile et intuitive pour l’utilisateur et qu’elle puisse se démocratiser à grande échelle », confie Stéphane Saint-Amand. 

Les projets se multiplient pourtant entre les murs du centre : un processus pour développer la télédent venu d’Allemagne, des clusters, un incubateur d’entreprises, une collaboration avec des médecins du sport, des tablettes pour les personnes atteintes de la maladie d’alzheimer… Les initiatives sont très nombreuses au milieu d’une économie protéiforme qui a tendance à s’étaler à bien d’autres secteurs, comme l’agro-alimentaire, qui a su faire fructifier depuis une dizaine d’années une véritable stratégie marketing nationale pour cibler des publics plus âgés, comme chez Danone ou Nestlé… Certaines marques, comme Audika, Vacances Bleues, Ti Hameau (centre de rééducation fonctionnel pour les personnes qui doivent rester hospitalisées, ce qui leur évite de rester trop longtemps dans les hôpitaux), n’ont pas attendu la création du contrat de filière pour comprendre l’importance de la part de marché potentielle à prendre. Selon des chiffres du Crédoc dans le cadre d’une enquête sur le budget des familles, le créneau des 50 ans et plus représente le niveau de vie le plus élevé, et possède le patrimoine le plus important (en moyenne plus de 300 000 euros pour les 60-70 ans). Reste maintenant à savoir si tous ces acteurs limousins comptent vraiment redynamiser une filière au fort potentiel mais à la structuration en perte de vitesse. La future grande région, initiée dès le 1er janvier 2016, pourrait les y aider et suscite déjà de grands espoirs. 

A grande région, grandes initiatives ?« Des projets continuent à se développer, même si ça marque vraiment le pas depuis le contrat de filière, la Ministre a su créer une dynamique, c’est aux acteurs locaux de la perpétuer », confie le directeur du centre de Guéret. « Pour la Creuse, c’est une exigeance territoriale, on est obligés de se mettre au diapason. Les territoires qui s’en sont emparé continuent, les autres vont s’y mettre. Nos avancées sur la domotique sont un atout indéniable que la grande région nous permettra sans doute de faire valoir. A côté de Bordeaux, il faut admettre que la Creuse ne pèse pas lourd, ce sera donc forcément valorisant pour nous, territoires ruraux qui avons de vrais besoins. Le nouveau territoire devra prendre en compte nos spécificités ».

Même son de cloche chez Legrand : « La grande région pemettra certainement d’ouvrir des marchés aux entreprises locales en dehors de leurs frontières. Même si la plus grande partie des emplois ne sont pas délocalisables, l’une des raisons pour lesquelles le marché hésite, nous sommes prêts à collaborer avec l’Aquitaine pour qu’il puisse réellement se développer ». La domotique reste dans toutes les têtes pour faire émerger les solutions. La 5ème édition des « Journées nationales de la domotique », qui se sont tenues à Guéret en novembre dernier, sont là pour le prouver.  Et tous les secteurs seraient impactés si la filière n’arrivait pas à percer : on estime à 3% la baisse du marché automobile en raison du vieillissement démographique en Europe. Nul doute qu’il y a une place à se faire dans ce créneau : selon une récente étude de « Senior Strategic », 84% des 55 ans et plus déclaraient vouloir rester à leur domicile même s’ils ont besoin d’assistance. Reste aux acteurs publics la responsabilité de se réemparer du sujet et de réellement fédérer cette filière aux 300 000 emplois potentiels. 

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