La transmission agricole en Charente-Maritime, une problématique à résoudre d’urgence


Anne-Lise Durif
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Temps de lecture 8 min

Publication PUBLIÉ LE 12/12/2017 PAR Anne-Lise Durif

Depuis 2014, les cessations d’activités ne font qu’augmenter chaque année, après une periode de stagnation entre 2008 et 2013. A partir de 2016 a été franchi le cap des 3500 départs par an en région, selon l’observatoire « Installation-transmission » de la Chambre d’Agriculture de Nouvelle-Aquitaine. D’où l’urgence à trouver des solutions. Pas facile, dans un contexte où les institutions agricoles elles-mêmes avouent peiner à faire l’inventaire des candidats à la transmission.

Transmission : qu’est-ce qui coince?

La première difficulté, c’est que les candidats au départ ne se font pas ou très peu connaître auprès des fédérations ou chambres professionnelles. En Saintonge Romane, le Point relais (PAT, lire ci-dessous) de la Chambre d’Agriculture 17 a mené une enquête de terrain pour repérer les futurs cédants, en allant au-devant des agriculteurs. Sur 564 exploitations, 54% des agriculteurs ont plus de 50 ans : 36% d’entre eux ont une transmission assurée (souvent au sein de la famille), pour 7% elle est incertaine… et absolument pas assurée pour 57% d’entre eux. Un chiffre alarmant, confirmé par les observations du cabinet comptable gestion ocean (CGO) : « Nous recevons de plus en plus de demandes de changements de statut pour des fermes seulement dans les deux derniers mois d’activité de l’exploitant,  ce qui montre bien qu’il n’y a pas anticipation dans le départ à la retraite », note la fiscaliste Armelle Benard.

Une hésitation liée à bien des incertitudes concernant l’avenir, selon Véronique Laprée, viticultrice en Charente-Maritime et conseillère régionale. « Ils se demandent combien ils vont pouvoir revendre, qu’est-ce qu’ils gagnent à céder, est-ce qu’ils gardent ou non l’usufruit de leurs terres, s’ils vont payer des impôts ou des droits de succession dessus et combien, et comment et avec quoi ils vont vivre après la transmission ». Beaucoup de questions auxquelles ils aimeraient pouvoir trouver une réponse personnalisée auprès d’une seule instance capable de répondre à toutes. Selon Véronique Laprée, ils auraient également l’impression « de ne pas être assez entendus dans leurs besoins post-activité ».

La Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural  (SAFER) (1) constate de son côté que le coût du foncier est souvent un frein majeur. « Souvent l’agriculteur qui s’arrête veut aussi transmettre ce qu’il a mis en place sur son exploitation durant plusieurs décennies mais qui est difficilement chiffrable. Il y a alors un décalage entre la valeur patrimoniale du bien et la valeur économique de la société, et qui ne sont pas en adéquation avec  la réalité économique du monde. C’est très compliqué à faire entendre », explique Paul Arnold, chef du service départemental. « Du coup, certains sont prêts à vendre au plus offrant sans prendre en compte le projet d’un repreneur. C’est comme ça qu’on se retrouve avec des terres rachetées par des étrangers, par exemple… » La pratique courante serait plutôt de céder à son voisin ou à « l’agriculteur le plus proche qui vous a filé des coups de mains toutes ces années les jours où vous étiez malades ou absents », comme un juste retour des choses. Dans les deux cas, les terres se retrouvent morcelées, les grosses exploitations s’agrandissent encore tandis que les plus petites disparaissent.  En Charente-Maritime, la course au foncier agricole serait particulièrement féroce : « Pour un dossier de reprise, nous avons 20 dossiers de candidatures et pas seulement des candidats à la reprise mais des syndicats mixtes, des collectivités, des promoteurs, des sociétés d’exploitation… » Difficile de rivaliser pour un particulier.

Raison moins avouée : la difficulté pour les agriculteurs à transmettre à des jeunes non issus du milieu agricole. Les enfants d’agriculteurs ne sont pourtant qu’un tiers à reprendre l’exploitation familiale. « Alors que 2/3 de nos exploitants ont plus de 55 ans aujourd‘hui, nous avons besoin de cette génération non issue de l’agriculture pour renouveler la filière », prévient l’association des Jeunes Agriculteurs, en regrettant que ces mêmes arrivants ne prennent pas assez le temps de se former avant de se lancer, sans avoir bien conscience des réalités du métier (lire ci-dessous). Leur choix de modèle agricole ne correspond pas toujours non plus aux pratiques de l’exploitant initial, qui a du coup du mal à passer le relais. « Il faut donner envie aux citadins motivés de s’y mettre, leur donner les connaissances et les moyens d’aller vers l’agriculture de leur choix et ne pas opposer citadins et ruraux, sinon nous seront tous perdants », alerte Françoise de Roffignac, vice-présidente du Département en charge de l’agriculture.

Qui sont les prétendants à la reprise ?

Selon l’observatoire « Installation-transmission » de la Chambre d’Agriculture régionale, les candidats seraient de plus en plus nombreux: 260 demandeurs en 2012 contre 342 en 2016 enregistrés par le Point Relais de Charente-Maritime. 65% des candidats sont issus de filière non agricole, de profils divers, majoritairement diplômés et âgés de 25 à 39 ans (62%), dont 43% de femmes. Des chiffres et un constat sensiblement identiques dans le reste de la région. Mais les prétendants charentais-maritime restent de mauvais élèves sur un point : seuls 23% d’entre eux réalisent un bilan de compétences et/ou un plan de professionnalisation personnalisé (PPP), c’est-à-dire un état des lieux de leurs compétences et de leurs besoins en formation, menée avec la Chambre d’Agriculture. Seulement une quarantaine d’entre eux se sont lancés par la suite dans une formation spécialisante en 2016. Pour l’observatoire régional, un candidat sur trois serait donc en capacité réelle de reprendre une exploitation. Autre frein : le Point Relais de Saintonge pointe le manque de formation spécifique à l’installation, en particulier dans l’éducation nationale. Non incités et non formés à la reprise, les jeunes se vouant aux métiers agricoles seraient peu nombreux à s’envisager à la tête d’une exploitation, avec une préférence pour le salariat. Le Point Relais de Saintonge note par exemple que « sur 350 élèves du lycée agricole de Saintes, seule une dizaine envisage de s’installer et donc de poursuivre en BTS (seule niveau de diplome donnant des outils en vue d’une installation, ndlr) dans le but de s’installer. »

En termes de choix de filières, les faveurs des candidats néo-aquitains vont majoritairement aux élevages de bovins à viande (19%), au maraîchage (17%) et à l’arboriculture (15%), loin devant les grandes cultures (9%). Une tendance que l’on retrouve plus où moins en Charente-Maritime, la viticulture restant la filière d’installation majoritaire en Charente-Maritime, avec l’ostréiculture sur le littoral. En revanche, si le renouvellement des installations en maraîchage et en cultures céréalières est à l’équilibre, il reste trop faible en élevage bovin (viande et lait). Après avoir longtemps boudé le bio et /ou les circuits courts, pourtant en plein essor depuis sept ans en Nouvelle-Aquitaine (+ 20%), les nouveaux installés commencent à s’y mettre : entre 2015 et 2016, le département est passé de moins de 10% d’installations en bio à 22% en 2016… Là où les voisins de Dordogne et de Lot-et-Garonne sont plus de 20% à s’y engager chaque année.

Quels dispositifs pour aider la transmission ?

Une des premières solutions envisagées par Françoise de Roffignac serait d’inciter les agriculteurs à former quelques temps leur repreneur, au sein de l’exploitation, de façon à ce qu’elle soit rentable pour le repreneur au moment du départ du cédant. Ils sont encore trop peu à envisager cette solution : 6% en Charente-Maritime, 16% sur l’ensemble de la région.  

En termes d’accompagnement, les Chambres d’Agriculture ont mis en place ces dernières années des Point Accueil Transmission (PAT) en ex Poitou-Charentes et Point Accueil Installation-Transmission (PAIT) en ex-Aquitaine, et une cellule identique gérée en partenariat avec la MSA depuis cette année pour l’ex Limousin. Objectif : orienter et répondre aux questions des exploitants cédants ou en devenir au sujet notamment des modalités de transmission du foncier, de la valeur des entreprises, rechercher un repreneur, formation, portage foncier, etc.

Sur le plan financier, la Chambre d’agriculture, la Région et le Département proposent différents types d’aides. Depuis la réforme territoriale, les départements ont perdu la compétence économique et ne peuvent donc plus aider les entreprises comme autrefois. En Charente-Maritime, les prêts accordés jusqu’alors n’ont plus cours. Le Département a donc réfléchi conjointement avec la Région à une autre forme d’aide : depuis le 1er janvier, il existe 5 types de subventions dont une à l’installation d’une valeur de 5 000 euros. Le Département a récemment voté une enveloppe de 150 000 euros dédiée à ce budget. Une trentaine de dossiers de candidats sont déjà à l’étude.

Du côté de la Région, la reprise de la compétence économique a nécessité d’harmoniser les trois programmes d’aides existants jusqu’alors : la Dotation Jeune Agriculteur (DJA), le Prêt d’Honneur et l’accompagnement en amont et en aval à l’installation. Selon la Région, la procédure administrative pour en bénéficier aurait été simplifiée. Une quatrième modalité aurait également été intégrée : concrètement, le taux de l’aide varie en fonction de l’effort de reprise et de modernisation de l’exploitation à fournir par le repreneur.  Seuls les investissements supérieurs à 100 000€ peuvent bénéficier de cette clause. Les investissements fonciers restent quant à eux plafonnés à 50 000€. Les demandes, elles, peuvent être formulées via le Département, depuis le 10 mars.

 Pour les repreneurs de moins de 40 ans, il y a bien sûr l’aide à l’installation, la Dotation Jeune Agriculteur (DJA) portée par la Région. Elle a déjà bénéficié à 54% de nouveaux jeunes installés entre 2012 et 2015, avec 550 installations aidées en 2016 en Nouvelle-Aquitaine. Pour ceux ne pouvant en bénéficier, il y a le Prêt d’Honneur : un prêt à 0% de 5000 à 20 000€ sans garantie, en complément d’un prêt bancaire. En complément à ce prêt, la Région compte prochainement étendre son prêt de la Caisse sociale de développement local, pouvant aller jusqu’à 12 000€, avant ou après l’installation. Il ne concerne pour l’instant que la Gironde, la Dordogne et le Lot-et-Garonne.

Autres formes d’emprunts : ceux portés par Eurogage, la SIAGI ou le Fonds de garantie à l’initiative des femmes. Le réseau France Active partage par exemple les risques financiers avec l’entrepreneur et garantit le remboursement de ses crédits professionnels, sans faire appel à l’hypothèque ou autres garanties habituelles demandées par les banques. Autre recours enfin : les formes de financements participatifs, qui se font sous forme de dons ou d’actions. Les plateformes MIIMOSA et BULB IN TOWN sont dédiées spécifiquement aux problématiques des investissements agricoles.


En savoir plus : www.repertoireinstallation.fr, qui diffuse les offres d’exploitations au niveau régionale. Les plateformes participative : www.miimosa.com ; www.bulbintown.com.


(1)    Les Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) permettent à tout porteur de projet viable – qu’il soit agricole, artisanal, de service, résidentiel ou environnemental – de s’installer en milieu rural. Les projets doivent être en cohérence avec les politiques locales et répondre à l’intérêt général.

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