« L’agriculture de Nouvelle-Aquitaine, avec ses 85 000 exploitations, ses 180 000 emplois et ses 156 SIgnes de Qualité et d’Origine, est la première économie de la Région », rappelait en introduction Lydia Héraud, Conseillère régionale déléguée à la viticulture et aux spiritueux. Une agriculture diverse et aux modèles multiples, mais aux enjeux communs que sont « la performance économique, garante de la compétitivité et de l’emploi, la performance environnementale, au regard notamment des questions liées aux pesticides et à l’eau, et la performance sociale en termes de conditions de travail et de vie des agriculteurs et de leurs salariés ». Un triple enjeu que l’innovation doit viser à relever…
Une innovation dont Philippe Boyer, grand témoin de la journée, spécialiste de la thématique, a rappelé la définition en ouverture des échanges soulignant qu’« une innovation, ce n’est pas une invention. Ce sont des idées qui ont passé le stade du concret et qui sont mises en œuvre grandeur nature. » Il ajoute par ailleurs, qu’une innovation qui réussit, c’est une innovation qui « améliore, ou facilite la vie des gens. Dans le cas inverse, elle ne prendra pas. » En d’autres terme une innovation n’acquiert de la valeur que par l’usage que l’on en fait.
« L’innovation pour ne pas être enclavé dans son métier »
Des notions d’innovation par l’usage et pour une vie facilitée, c’est totalement le propos de Yoahn Delage, agriculteur en Charente, installé hors cadre familial, qui a choisi ce métier confiant que « le développement de la technologie permettrait d’avoir une qualité de vie décente, sans être enclavé dans son métier ». Un développement de la technologie pour lequel il est véritablement proactif sur son exploitation. Cet exploitant en grandes cultures est pour le moins équipé : GPS, drone, conduite automatisée des moissonneuses batteuses, pratique culturale innovante… le tout allié à un constructeur lui permettant d’expérimenter grandeur nature ces outils et méthodes innovantes.
Mais l’innovation en agriculture, ce n’est pas qu’aux champs comme le démontre les fameux « Drive fermier ». Désormais au nombre de quatre sur la métropole bordelaise, ils permettent, comme l’explique Denis Chaussier, viticulteur adhérant à la démarche, « aux citadins via une plateforme de commande sur internet de venir chercher en point relais, ( les fameux « drive ») les produits fermiers de leur choix », ou la vente directe réinventée, sans besoin pour le consommateur de passer par la case « ferme » tous les week-end… L’innovation appliquée en agriculture, c’est donc aussi dans le réseau de distribution des produits agricoles.
Avec Christophe Giraud, Directeur adjoint de l’EPLFPA, autant dire l’établissement réunissant l’ensemble des lycées agricoles de Gironde, l’innovation se trouve aussi dans la formation. Et pour cause, l’arrivée de nouvelles technologies, au croisement du secteur agricole, aéronautique (par exemple pour les drones), spatial (cartographie et géolocalisation) ou bien encore numérique, (s’agissant du traitement des données ou l’utilisation d’outils d’aide à la décision), amène ces établissements à s’ouvrir au-delà de leurs propres frontières. Une tendance illustrée par le lancement ce même jeudi d’une « formation commando sur l’innovation agricole dans laquelle nous avons cherché à capter l’ensemble des technologies transverses et utiles à l’agriculture », décrit le responsable. Une formation à destination de demandeurs d’empois, mise en œuvre en partenariat avec l’Aérocampus et notamment le Data Space Campus, mais aussi des jeunes pousses telles que Reflet du monde sur le pilotage de drône léger, SkybirdsView, sur les drônes lourds, ou encors avec Telespazio France, sur la navigation, le traitement des données, les cartes de modulation et les outils d’aides à la décision… Une formation permettant de mettre sur le marché du travail de nouveaux profils, à la fois chef d’exploitation et agriculteurs de précision, dès la fin du mois de janvier. « Une manière aussi de susciter le marché et l’activité sur ce type de postes, encore inexistant mais sur lesquels les choses s’accélèrent vite et de manière massive », constate Christophe Giraud. L’innovation appliquée en agriculture s’est donc aussi tant sur le contenu des formations que les relations nouvelles entres différents types d’acteurs…
« Permettre à l’agriculteur d’être socialement valorisé »
Un travail en collectif qui est le propre du Cluster Innovin dont le directeur, Gilles Brianceau était également présent ce jeudi. « Notre cœur d’activité est l’ingénierie de projet, rappelle-t-il. Nous mettons en lien entreprises et laboratoires de recherche, au service d’acteurs de la filière, face à une demande ou un besoin constaté». En d’autres termes, associant utilisateurs, laboratoires de recherche et entreprises innovantes, c’est aussi la garantie pour ces dernières, que « l’innovation correspondra au marché, et que le transfert de technologie vers les utilisateurs, se fera bel et bien », un gage de succès en quelque sorte, synthétise Gilles Brianceau.
Autant d’innovations ou de méthodes nouvelles d’ores et déjà existantes et appliquées qui laissent grandes ouvertes les portes de l’agriculture de demain. Parmi les pistes mis en avant ce jeudi mais commençant d’ores et déjà à être explorée : les solutions de biocontrôles, visant à lutter contre les insectes ou les champignons sans recourir au pesticide de synthèse . C’est ce que tant à développer la start-up de Laurent de Castro, « Immunrise », grâce à l’identification d’une souche de micro-algue permettant de lutter contre un certain nombre de champignons, notamment sur le blé et la vigne… Outre le bio contrôle, Pierre Bougault, directeur territorial Aquitaine du Pôle de compétitivité Agri sud ouest innovation évoque des initiatives prometteuses qui semblent prendre forme du côté du big data, et du numérique au sens large, de la robotique, et enfin de la génétique et de la sélection variétale animale ou végétale…
Des pistes finalement déjà creusées, mais qui n’ont pas fini de révéler leurs potentiels mais auxquels il ne faut pas oublier selon Olivier Le Gall, Directeur général délégué de l’Inra, « l’innovation autour des technologies organisationnelles, bien qu’elles soient plus dures à valoriser… » . Celui-ci souligne par ailleurs que l’innovation doit aussi être sur la performance sociale : « on aura beau avoir une agriculture hyper high-tech, l’agriculture n’existera plus si on a plus d’agriculteurs. L’innovation doit donc permettre à l’agriculteur d’être socialement valorisé, et d’avoir un mode de vie, ne permettant pas de causer ou de creuser de rupture entre rural et urbain ».
Au total, comme l’a conclu Alain Rousset, il s’agit, par la collaboration et les relations transverses, telles qu’a tenté de les insuffler ce premier forum, de « passer d’une agriculture de compensation à une agriculture d’innovation, permettant de retrouver une chaîne de valeurs confisquée aux agriculteurs, notamment, par la grande distribution ».